INTERVIEW de Charles Zrihen
directeur du Festival du film israélien de Paris organisé par l’association Isratim, qui s’ouvrira demain, à Paris au Mk2 Biblothèque, jusqu’au 1er avril.
Propos recueillis par Yasmina Guerda.
(Crédit photo ci-contre : IsraelValley)
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Comment avez-vous eu l’idée, il y a huit ans, de ce festival?
A l’époque il était très difficile de voir des films israéliens à Paris. D’ailleurs, le cinéma israélien n’était pas encore ce qu’il est aujourd’hui. J’avais envie de montrer au public de cinéphiles français ce cinéma que j’aime.
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Quelle est, selon vous, la particularité du cinéma israélien qui justifierait l’existence d’un tel festival? Il n’y a pas de festival du cinéma chilien ou portugais…
Le cinéma israélien est aujourd’hui une pépinière de jeunes talents. Le septième art est très florissant dans ce tout petit pays puisqu’il y existe pas moins de onze écoles de cinéma. Dans les films qui nous arrivent en France, on a d’ailleurs souvent affaire à des premières réalisations. Mais surtout, le cinéma israélien est un cinéma qui a le mérite de parler des problématiques israéliennes tout en conservant une portée universelle. C’est ce qui, selon moi, explique aujourd’hui son succès.
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A qui s’adresse votre festival ?
Ce n’est pas un festival communautaire si c’est ce que je dois comprendre dans votre question. J’en veux pour preuve le fait que nous soyons financés par le CNC, la Mairie de Paris et le Ministère de la Culture. Par ailleurs, une très forte majorité de notre public n’est pas juif.
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Comment s’est décidée la programmation de cette huitième édition?
Je choisis les films en fonction de ce qui a été présenté aux festivals de Haïfa et de Jérusalem. J’essaie avant tout de présenter des films inédits en France, qui n’ont pas encore de distributeur. Mon festival est fait aussi pour aider ces films à être distribués en France (lire à ce sujet mon post du 27 janvier 2008 « Cinéma israélien et co-production« ). Cette année, pour les 60 ans de l’Etat d’Israël, on a décidé de faire une rétrospective avec les films qui, selon moi, ont changé l’inconscient israélien. Je pense par exemple à ‘Mariage Tardif‘ ou ‘Ushpizin‘. Au départ, nous avions plus de cinquante films et il a fallu trier sur le volet pour aboutir à la vingtaine qui compose maintenant la rétrospective.
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L’incident « Forgiveness » (cf. post du 26 novembre 2007) vous a-t-il poussé à être plus consensuel dans le choix de vos films cette année ?
Il n’y a pas eu « d’incident Forgiveness ». Udi Aloni s’est servi de ce vent de constestation pour faire sa pub et attirer l’attention sur ce film. J’ai décidé de changer le film qui ferait la soirée d’ouverture parce que j’en ai trouvé un meilleur, ‘Aviva My Love‘, que je n’ai obtenu que tardivement. Mais je n’ai subi aucune pression. D’ailleurs, je ne l’ai pas déprogrammé puisque je l’ai passé trois fois. Cette année comme l’année dernière, j’ai décidé de passer des films d’extrême gauche, des films qui traitent de problèmes religieux, ou de la question de l’homosexualité. Je cherche à poser les problèmes tels qu’ils sont filmés.
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L’attachée culturelle israélienne, Anita Mazor, ne vous a pas explicitement demandé de retirer le film d’Aloni de l’ouverture du festival?
Non, ça a été démenti et redémenti ! Nous sommes même passés sur Arte pour dire que ce n’était pas vrai. Plusieurs personnes m’ont dit que ce n’était pas un choix judicieux pour l’ouverture et j’ai suivi leur conseil. C’était peut être un mauvais conseil, mais en tout cas, je l’ai suivi. Et cette année, on a eu le même problème avec le film ‘Désengagement‘ d’Amos Gitaï. On s’est demandé s’il fallait ouvrir avec ça et on a finalement décidé que non. Mais, là encore on ne peut pas m’accuser d’être consensuel puisque j’ouvre quand même avec un film qui traite du retrait de l’armée israélienne du Sud-Liban !
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Parmi les films que vous avez sélectionnés cette année, quel est votre coup de coeur?
Il s’agit d’un tout petit film, ‘Vasermil‘, de Mushon Salmone. Il raconte comment les habitants des cités de Beer Sheva tentent de se sortir de la misère et des ghettos par le football. C’est un film qui me rappelle celui de Matthieu Kassovitz, ‘La Haine‘. Il s’agit d’un premier film, mais c’est un film très brut, très à vif, avec un jeu de caméras exceptionnel. Je pense que ce réalisateur ira loin.
>> Lire, sur ce blog, le billet du 18 janvier 2008 : « Festival du film israélien de Paris : 60 ans… de cinéma »
Merci beaucoup pour cet entretien Yasmina.
« Et cette année, on a eu le même problème avec le film ‘Désengagement‘ d’Amos Gitaï. On s’est demandé s’il fallait ouvrir avec ça et on a finalement décidé que non. »
Pourquoi ? C’est la question à laquelle Charles Zrihen ne répond pas vraiment…surtout que pour avoir vu le film d’Amos Gitai que vous découvrirez dans quelques jours, je ne le trouve pas politiquement explosif, ni d’extrème gauche.Le sujet politique n’y est pas abordé de front, les thématiques sont autres et dépassent le contexte de fond.
Amos Gitaï est, de façon générale, considéré comme un traître vis-à-vis d’Israël. Je n’ai toujours pas vu Désengagement, mais je te renvoie au post que j’ai écrit sur le film : https://labobinedisrael.wordpress.com/2007/12/28/desengagement-de-gitai-le-09-avril-2008/
J’y explique que le film a été très mal reçu en Israël et qu’on a même voulu lui retirer sa nationalité israélienne, à Gitai.
Mouais, le personnage ne me paraît pas plus sympathique à lire qu’à entendre, hier, à l’ouverture du festival.
En tout cas ils se sont donné beaucoup de mal pour démentir ce qui selon lui n’était qu’une rumeur, au sujet de Forgiveness !
Pour ce qui est de Beaufort, il faudra m’expliquer en quoi ce film est absolument « non-consensuel ». Certes il critique les conditions de ce retrait du Sud-Liban… mais globalement, je n’en retiens pas quelque chose d’absolumet choquant pour une majorité d’Israélien. Et hier dans la salle il ne m’a pas semblé que le public (composé de très nombreux Juifs et Israéliens, bien plus que la majorité !) ait été particulièrement choqué.
Cela reste une interview très intéressante (à part les deux premières réponses), même si je ne partage pas trop la vision des choses de ce monsieur :).
Beaufort critique l’Etat major israélien. Quand on sait l’importance de cette institution en Israël… (le ministre de la Défense israélien est « le numéro deux du gouvernement », soit tout de suite placé derrière le Premier ministre en ordre d’importance).
Ce film est très dur envers les instances dirigeantes de Tsahal.
Surtout dans le contexte actuel : Beaufort est sorti en Israël en 2007, soit un an après la seconde guerre du Liban, en plein scandale judiciaire pour déterminer si oui ou non, cette guerre était nécessaire.
Ehud Olmert a failli y perdre sa place (il a obtenu à cette époque le plus faible taux de popularité de l’histoire des Premiers ministres israéliens, pire que quand Ariel Sharon a annoncé le retrait de Gaza).
Shaul Mofaz, l’indétrônable chef de l’Etat major de Tsahal, lui, l’a vraiment perdue, sa place.
Tout comme le ministre de la Défense de l’époque, Amir Peretz, qui a essuyé les pots cassés à la place d’Olmert.
Ce film rappelle que ce n’est pas la première « bourde » de l’Etat Major israélien concernant le Sud Liban. D’abord en 82, Sharon a été épinglé plusieurs fois pour les désormais tristement célèbres massacres de Sabra et Chatila. Puis en 2000, retrait du Liban, où, comme le montre le film, on n’a pas hésité à sacrifier des gamins pour une question de principe. Et rebelotte en 2006.
Ce film est selon moi EXTREMEMENT DUR envers les instances de l’armée israélienne. Et pas de façon subtile ! Combien de fois, dans le film, les jeunes de Beaufort remettent-ils directement en cause leur commandement ? C’est très grave pour un pays en guerre (car Israël est en guerre perpétuelle), très risqué, car les jeunes gens israéliens ne sont déjà pas tous enthousiastes à l’idée de faire leur service !
Et last but not least, ce film pose la question de la valeur d’une vie humaine. Ce n’est pas rien en Israël.
Je n’ai pas vu « Beaufort », je ne peux donc que patienter pour commenter sur le film en question.
Merci pour vos deux posts Yasmina et Quentin.
Amos Gitai est considéré comme un traitre en Israel mais je pense sincérement que ses films documentaires ( en particulier ceux tournés durant la première guerre du Liban) sont bien plus offensifs que « Désengagement » qui aborde des questions fondamentales pour la région ( et pour l’être humain en général) mais sans être une prise de position violente.C’est ce que je vois dans le film « Désengagement » ,il est possible que Charles Zrihen y percoive autre chose ou soit en crainte d’une autre perception.
Si l’on considère des artistes comme Avi Mograbi…c’est quand même autrement plus offensif que Gitai, mais je ne pense pas que Mograbi puisse faire partie du festival Isratim, pour des raisons évidentes.
« Cela reste une interview très intéressante (à part les deux premières réponses), même si je ne partage pas trop la vision des choses de ce monsieur :). »
Je suis tout à fait en accord avec ces remarques de Quentin.
Je trouve aussi que sa justification sur le film » Forgiveness » est bien vague..( mis à part que dans ma subjectivité extrème le commentaire sur Udi Aloni me paraisse aussi plus que douteux…)
Tout de même…je vous jalouse de pouvoir assister à ce festival 😀 Merci de nous faire partager les entretiens 🙂